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CONCLUSION

Ces quelques témoignages fournissent à eux seuls, l’essentiel de la conclusion ; ils apportent l’épaisseur humaine indispensable à la compréhension du phénomène.
Sans eux, ne serait-on pas en droit de se demander si l’ambitieux projet pédagogique des Faucons Rouges n’a pas accouché d’une souris ?

Il faut le témoignage de Bruna pour comprendre l"’esprit" des jeunes responsables d’avant-guerre, l’extrême enthousiasme, l’engagement total et le décalage constant entre idéal et contingence politique incarnée par le Parti socialiste.

Il fallait aussi ces témoignages pour comprendre l’importance de cet engagement et son prolongement dans la vie adulte : l’émancipation des filles, le sens des responsabilités, de la solidarité. Toutes valeurs qui fourbiront les armes d’un esprit d’entreprise surprenant chez ces tenants de l’autogestion. Nous retrouvons d’anciens Faucons Rouges à la tête d’un
Cabinet d’architectes, d’une Société Coopérative, d’une Maison d’Édition, d’un Laboratoire pharmaceutique, parmi les fondateurs de la FNAC.
 [1]

Plus modestement, les Faucons Rouges ont surtout fourni un contingent appréciable de syndicalistes, d’honnêtes citoyens, de militants socialistes plus que de responsables
du Parti socialiste ; ils sont devenus "des membres plus conscients de leur collectivité de classe... " [2]

Encore faudrait-il connaître le nombre d’années passées dans le Mouvement pour mesurer l’impact de cette socialisation politique. De même que l’on est en droit de se demander comment la "socialisation de base" [3] des enfants passés chez les Faucons Rouges a pu jouer dans leur engagement
futur ? N’y-a-t-il pas, dans cette sorte de résistance à l’engagement politique, au sens d’engagement dans un Parti, synonyme de hiérarchie, de discipline, de monde adulte aussi, une part d’utopie qui annihile les effets d’un endoctrinement précoce ?

L’éducation morale reste au coeur de ce qui constitue le fond commun de tous les Mouvements de jeunesse, et par là-même les unit au-delà des clivages politiques et religieux,
autour du même rêve de communauté fraternelle.

La richesse des Faucons Rouges réside également dans sa dimension internationale, un creuset où se fondirent une somme impressionnante d’idées et d’expériences. En France, ils furent mêlés à cette "diaspora" anti-fasciste européenne qui devait les conforter dans leur vocation révolutionnaire et internationaliste. Mais ils ne purent résister à la double mort de Kurt Lowenstein et des espoirs de paix.

Après la guerre, l’autonomie des Faucons Rouges à définir une pédagogie spécifique n’est plus qu’un leurre. Les partis sociaux-démocrates devenus plus pragmatiques (beaucoup accèdent au pouvoir : la S.F.I.O. en France, le Parti Travailliste en Grande-Bretagne… ) ne peuvent guère admettre dans leurs rangs les tenants d’une Révolution sur laquelle ils émettent quelque doute. Très vite en effet, il y a distorsion entre la vocation des partis socialistes à s’appuyer sur les classes moyenne, à gérer, somme toute, une société capitaliste, et la culture ouvriériste, marxiste et libertaire à la fois des Faucons Rouges ! Faut-il ajouter également la culture allemande qui ne se porte pas très bien après 1945.

Dans les années 1950, les débats de l’Internationale de l’Éducation Socialiste épousent les mêmes doutes que ceux de l’Internationale Socialiste sur les possibilités de renverser le régime capitaliste et les projets d’une société socialiste.

Quelle République ? Pour quel socialisme ? restait le vrai débat, mille fois posé, jamais résolu par les Faucons Rouges. Encore n’ont-ils jamais songé à le résoudre, ce dilemme relevait du projet socialiste adulte. Le leur est mort de cette difficulté à en définir le contenu, de la méfiance aussi et des doutes qu’il suscitait. L’utopie ne nourrit-elle pas l’hérésie ?
Les hiérarchies politiques et religieuses savaient bien ce qui les séparaient de la République idéale des Faucons Rouges comme de la Cité de Dieu. [4]

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[1 Fédération Nationale d’Achat des Cadres , créée en 1954 par André Essel, Max Théret.

[2Ph. Rey-Herme, op. cit.

[3voir à ce propos, l’enquête d’Anrick Percheron, "L’Univers politique des enfants", Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris 1974.

[4Colonie de vacances fondée par le Père Fillère en 1934 et dont le camp d’été portait le nom de "Cité de Dieu".