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6) L’émancipation de l’enfant ouvrier.

Toute leçon doit être une réponse ; ce que fait un écolier doh toujours avoir pour but de résoudre un problème d’action. Cette maxime de la pédagogie nouvelle a été établie par le psychologue connu Edouard Claparède. Cette maxime vaut encore mieux pour notre éducation que pour la vie scolaire. Nos faucons, les enfants de la classe ouvrière ne sont-ils pas posés devant le grand problème de leur émancipation idéologique et morale du monde capitaliste et bourgeois ? Ce qu’ils doivent faire doit avoir toujours le but de résoudre ce problème fondamental de leur existence.

Cette règle pédagogique est tout un aspect positif de notre éducation. Mais le problème a un caractère collectif. L’enfant ne peut se délivrer qu’en se délivrant de son isolement. Le prolétaire individuel ne commence à se délivrer qu’en s’élevant à la conscience de sa classe. Pour notre enfant nous avons trouvé une étape qui est plus près de son intuition, qui est plus concrète pour sa compréhension, c’est le groupe. Dans le groupe notre enfant naît à la vie du faucon. Dans son groupe il vit pour la première fois dans une communauté où il vaut quelque chose, où il n’y a que des égaux : des camarades, où on discute, décide et réalise des actions sous une forme démocratique. C’est pourquoi nous cultivons les formes démocratiques dans nos groupes. Ces formes ne sont pas une imitation des formes parfois surannées des adultes mais elles sont la traduction des formes structurales de la vie moderne et sociale sur le mode pédagogique pour l’adaptation sociale de nos faucons. Dans le groupe, entouré d’éducateurs socialistes et d’une symbolisation rouge et socialiste, le faucon sent, voit et entend, en un mot vit la concrétisation attrayante du socialisme d’une façon plus concrète encore que l’enfant religieux ne vit l’idée théiste dans la concrétisation des symboles, du culte religieux et dans la notion de Dieu, Père tout puissant et bon. Dans l’atmosphère que crée une activité joyeuse de chants, de jeux et de confiance, il se familiarise avec le mouvement ouvrier, son histoire et
son importance.

Qu’on n’objecte pas que tout cela est un inutile bagage pour le monde de l’enfant, sous prétexte que nous protestions il y a un instant contre toutes les influences qui refoulent son instinct et enchaînent sa spontanéité. Au contraire, notre enfant a besoin encore d’une éducation complémentaire pour surmonter le sentiment d’infériorité que sa situation lui a imposé. La répétition de lieux communs et de clichés appris par cœur des adultes, n’a pas de valeur éducative. Nos enfants ont leur propre langue et leur propre raisonnement. Une marche de nos faucons dans les rures en blouse bleue, chantant nos mélodies et le fanion en tête, voilà une leçon où ils puisent le sentiment de leur valeur, une réponse primitive au sentiment d’infériorité que la vie privée a provoqué chez eux.

Autre exemple : deux mille enfants de 12 à 14 ans partent pour une République des Faucons en Suisse ; parmi eux se trouvent un grand nombre de gosses qui habitent dans les quartiers les plus misérables de leurs cités. Quelques-uns n’ont jamais fait un voyage de chemin de fer. Et maintenant ils se trouvent dans un train spécial, réservé à eux, aux enfants ouvriers. C’est leur organisation, le Mouvement de l’Enfance Ouvrière, qui a préparé ce voyage, c’est eux-mêmes, leurs parents, les militants du Parti et des syndicats qui ont collecté tout cet argent. L’impossible est devenu possible par leur énergie et leur dévouement. Oh ! la classe ouvrière est forte si elle est organisée ! Le trajet est long, le train marche, toute la journée et toute, la nuit presque sans arrêt. La matin, on arrive au lac de Thune où les géants de la montagne, les cîmes couvertes de neige même pendant la chaleur de juillet, brillent au soleil. C’est ici, où les gens riches sont gâtés par le luxe de grands hôtels, que nos faucons, les enfants prolétariens, établissent leur camp. II faut avoir vécu une fois dans ce milieu pour comprendre l’émotion formidable qui exalte les cœurs de nos bâtisseurs quand ils hissent le soir le drapeau rouge qui domine toute cette République de tentes, montées par, eux-mêmes. Dans ce moment ils ne chantent pas seulement, mais ils vivent vraiment : « Nous sommes les bâtisseurs ». Ils sont fiers d’être actifs dans ce grand mouvement. Dans ce moment-là ils aiment le socialisme et cette impression profonde reste et fait naître l’idée force du combattant et du bâtisseur de demain.

Longarisse, en 1953