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Draveil

Août 1932 : "les municipalités socialistes de Suresnes, Puteaux, Drancy, organisèrent à Draveil la première République d’enfants à laquelle participèrent 700 enfants allemands et autrichiens".

La municipalité de Draveil n’est pas alors vraiment socialiste, le Maire, le Docteur Desbordes, est un notable libéral, un "original", diront certains [1] ; il y avait bien des conseillers municipaux communistes ou socialistes mais il faut attendre janvier 1933 pour que la municipalité se donne un maire socialiste en la personne de M. Détot, qui ouvre la voie fort longue, d’une municipalité de gauche.

En fait, ce n’est pas tant la coloration politique de la municipalité qu’une certaine histoire de Draveil qui la rattache profondément au mouvement socialiste.

C’est d’abord la réalisation d’une cité-jardin dans le parc de ce qui fut le château de Draveil par une poignée de coopérateurs, militants anarcho-syndicalistes. Cette société coopérative [2] était une action d’avant-garde et la population qui se fixe dans ces petits pavillons va constituer un réservoir de militants d’extrême-gauche qui prirent l’habitude de recevoir des exilés politiques.

Draveil est aussi un vieux foyer marxiste ; Paul Lafargue et Clara Marx y ont vécu et y sont morts le 26 novembre 1911. Ils y recevaient leurs amis politiques, en particulier Lénine qui venait assez souvent . [3]

Les grèves sanglantes et exemplaires des ouvriers des sablières de Vigneux-Draveil, en 1908 et 1925, témoignent d’une forte implantation syndicale à Draveil et dans la région (Juvisy, Villeneuve- StjGeorges) .

Il y eut aussi des considérations probablement plus pratiques pour le choix de la ville : la présence, sur les bords de la Seine, d’une vaste étendue sablonneuse le long d’un bras d’eau communiquant avec la Seine (cet espace est d’ailleurs inclus aujourd’hui dans la base de loisirs de Draveil [4] ) ; il y avait aussi, toute proche, la forêt de Sénart.

Les habitants de Draveil furent avisés, par des affiches, de la réalisation de cette République d’enfants [5] ; le ton est "œcuménique" et le Comité de patronage placé déjà sous le signe de l’unité syndicale et politique :

POUR LA PAIX

POUR LE DESARMEMENT MORAL

POUR LE RAPPROCHEMENT DES PEUPLES par la FRATERNISATION DES ENFANTS

Huit cents enfants de 10 à 14 ans, de toutes nationalités, viennent passer un mois de vacances en France, la commune de Draveil s’honore de les accueillir. Ils portent en eux l’espoir d’un avenir international meilleur, leurs parents nous les ont confiés Nous avons le devoir de veiller sur leur bien-être leur sécurité

NOUS FAISONS APPEL

à toute la population de Draveil

  • sans distinction de parti
  • sans distinction d’opinions
  • sans distinction de confession

POUR PRATIQUER A L’ ÉGARD DE LA RÉPUBLIQUE DES ENFANTS
les lois de la plus généreuse et de la plus courtoise hospitalité

Le texte est signé par un "Comité de propagande de Draveil" dont la composition ne manque pas d’être intéressante :

  • Gabriel Pernet, Délégué, militant anarcho-syndicaliste, coopérateur,
  • E. Lerm, Secrétaire du Comité réfugié allemand,
  • R. Coeylas, G. Coste, Délégués du Parti socialiste S.F.I.O.,
  • Bru, C. Martin, Délégués du Parti communiste [6]
  • Roux, G. Ruppé, Délégués du Syndicat des Cheminots Confédérés de Juvisy
  • Guiller, Hansen, Délégués de l’Union des Coopérateurs (164e section)
  • R. Marmande, Chambrey, Délégués de la Ligue des Droits de l’Homme
  • M. Cazin, Délégués du Secours Ouvrier International ;
  • Arnould, R. Cazin, Délégués du Secours Rouge International [7]
  • L. Soulas, Aline Wittebrodt, Délégués des Amis de l’U.R.S.S.

Draveil est aussi la municipalité qui entretient les liens les plus étroits avec l’Allemagne par l’intermédiaire de quelques-uns de ses habitants. Ainsi, le Secrétaire du "Comité de propagande de Draveil", Euphisie Lerm est-il un réfugié politique allemand que des relations suivies unissaient toujours à l’Allemagne ; il avait adopté une jeune allemande, Frieda Heidinger, née en 1919 à Leipzig, dont les parents faisaient partie du S.R.I. ; elle arrive en France par le canal du Secours Ouvrier International est prise en charge par un militant communiste de Draveil, M. Couergou (lui-même né à Berlin) ; Frieda [8] a le sentiment aujourd’hui que l’on s’est servi d’elle un peu connue "faire valoir politique" et plus simplement de ne pas avoir été heureuse ; à la suite d’un accident survenu à M. Couergou, elle est adoptée, cette fois, par une famille socialiste les Lerm. Dans le cadre d’un échange d’étudiants franco-allemand, organisé par Aristide Briand, qui défendait à l’époque le projet d’union Européenne, Frieda Heidinger se rend à Berlin et Leipzig en 1930 ou 1931.

Aristide Briand était alors très lié à Madame Dubost, antimilitariste, socialiste, mais aussi très riche par son mariage avec un banquier. Or, Madame Dubost habitait Mainville, un quartier de Draveil, elle-même était passionnée, non seulement par les questions franco-allemandes, mais aussi par les questions d’éducation elle subventionnait la crèche ouvrière de Mainville - qui existe toujours -. [9] L’acteur Firmin Gémier était venu visiter la République d’enfants des Faucons Rouges, probablement sur son invitation [10] .

Malgré tous ces liens qui unissaient certains Draveillois à l’Allemagne, la majorité des habitants fut tout de même surprise de voir cette cohorte de jeunes Allemands et Autrichiens débarquer à la gare de Juvisy et de là rejoindre Draveil, fanfares, drapeaux déployés, entonnant des chants révolutionnaires ! Au point qu’il y eut, parmi les anciens combattants de la guerre 14-18, quelques remous, on murmurait que la venue de ces jeunes Allemands cachait des fins d’espionnage [11].

La population de Draveil a fini par s’habituer, elle s’est même spontanément portée au secours des Faucons Rouges surpris dans la nuit du 15 août, par une crue rapide de la pièce d’eau toute proche des tentes ; pour les remercier, les jeunes Allemands aménagèrent une plage après un travail de terrassement impressionnant.

Enfin, chassé d’Allemagne par les nazis, c’est à Draveil que Kurt Lowenstein, accompagné de sa femme et de son fils, viendra s’installer et avec lui le Bureau de l’Internationale socialiste.

La réussite de la République de Draveil encouragea les militants français acquis à la cause du Mouvement d’enfants. Mais le modèle était allemand, la greffe française allait-elle prendre ?

Il fallut d’abord réunir sur le Mouvement des Faucons Rouges toute la documentation possible, puis regrouper les bonnes volontés éparses susceptibles de s’intéresser à la constitution, en France, d’un Mouvement analogue. Dans cette perspective, un Comité d’initiative fut créé durant les derniers mois de 1932 qui organisa dès le mois de janvier 1933, et jusqu’à Pâques de la même année, des cours à la Maison de la Mutualité. Ces cours réunirent chaque mardi, une soixantaine d’auditeurs et les cours furent assurés bénévolement, par Salomon Grumbach, Marcel Déat, G. Monnet, Berthe Fouchère, Laura (?), Jacques Godard, Ichock, Alice Jouenne, Andrée Viénot, Roger Foirier, Pierre Bossut ; en même temps, des sorties avaient lieu tous les dimanches pour initier les futurs "aides" [12] à leur fonction et à la pratique des activités de plein alr.

Ces cours se terminèrent par un camp, à Pâques, qui réunit pendant trois jours à Plaisir-Grignon, tous les futurs aides. Le matériel de campement n’était autre que celui, laissé à Wally Grumbach par les Faucons Rouges allemands, soit trois tentes.

D’autre part, la C.G.T. et le Parti Socialiste S.F.I.O., sollicités de donner leur appui au Mouvement des Amis de l’Enfance Ouvrière, accordèrent leur patronage et promirent un concours financier qui, par la suite en effet, permit aux Amis de l’Enfance Ouvrière de disposer du matériel dont ils avaient besoin.

Le Comité de patronage fut ainsi constitué :

  • Pour la C.G.T. : Guiraud, Cordier, Merat ;
  • Pour le Parti Socialiste S.F.I.O. : Suzanne Buisson, Germaine Fauchère et A.Poggioli [13] pour les municipalités socialistes.

C’est le 5 janvier 1933 que furent déposés à la Préfecture de la Seine les statuts des Amis de l’Enfance Ouvrière.

Les premiers groupes d’enfants de la Région parisienne furent constitués en Avril 1933, à Puteaux, Suresnes, Draveil, dans les 15e, 20e, 18e arrondissements de Paris, puis dans les mois qui suivirent, dans le 5e, le 19e, au Perreux ; vinrent ensuite les enfants du groupe Matteotti [14] .

Ensuite les groupes de Villefranche ; Bordeaux, Strasbourg, demandèrent leur adhésion aux Amis de l’Enfance Ouvrière.

Le Mouvement français des Faucons Rouges venait de naître.

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[1Le docteur Desbordes ne faisait pas toujours payer ses consultations aux plus pauvres, il pouvait par contre, tripler le prix pour les plus riche. Témoignage de Jacques Pernet.

[2Le 30 Août 1911, la Société anonyme coopérative à capital variable d’habitation à bon marché dite "Paris-Jardins première ville jardins française" acquiert pour 350 000 F, ce que fut le château de Draveil. L’architecte Jean Walter s’était inspiré de ce qu’il avait vu au cours de ses voyages et notamment des cités-jardins d’Angleterre liées au Mouvement Coopératif, de Suisse et d’Allemagne ; Albert Mayer, premier Président et fondateur de la Coopérative Ouvrière, avait lui-même longtemps séjourné en Angleterre. C’est avec lui que Gabriel Pernet et quelques autres fondent la Société coopération ParisJardins. En France, l’exemple fut repris dans plusieurs municipalités socialistes à Suresnes notamment grâce à la personnalité de son Maire Henri Sellier.

[3René Fontaine "Draveil et son Histoire" - s,l, s, d.

[4René Fontaine "Draveil et son Histoire" - s,l, s, d.

[5voir également l’affiche p. 12

[6Bru fut accusé de trahison et fusillé en 1944 par les résistants locaux ; voir ci-après, l’opinion du Parti Communiste, en 1934, sur la République de Draveil et les accusations d’espionnage p. 139

[7Le Secours Rouge International, S.R.I., organisation de secours de la IIIe Internationale ; le Secours Ouvrier International, S.O.I. est la branche français du S.R.I., organisation de secours du Parti Communiste.

[8Frieda Heidinger, aujourd’hui retraitée, vit à Draveil, c’est son propre témoignage que j’ai recueilli.

[9"La Goutte de Lait" .

[10Témoignages de Mlle Thérès Pernet ; Mme Frieda Heidinger.

[11René Fontaine "Draveil et son histoire", et J. Pernet, op. cit.

[12L "’aide" est l’ anti-chef de la pédagogie anti-autoritaire des Faucons Rouges, voir ci -après la "pédagogie des Faucons Rouges" p. 67

[13Antonin Poggioli était alors Maire du Bourget et Conseiller Général de la Seine ; il était aussi le Secrétaire de la Fédération des Elus municipaux et cantonaux socialistes qui devait collaborer avec Vichy (voir aussi p. 16). Antonin Poggioli a été fusillé par la Résistance en 1944.

[14Le Comité Mattéotti, du nom du député italien assassiné par les fascistes, est créé en 1926 sous l’égide de la C.G.T. et du Parti socialiste à l’initiative de la Fédération Syndicale Internationale et de l’Internationale Ouvrière Socialiste ; l’un de ses dirigeants fut Modigliani - frère du peintre -, Dupont, représentant de la C.G.T. ; le Comité avait pour fonction de venir en aide aux réfugiés antifascistes italiens mais à partir de 1933, il s’occupa également des allemands ; sa fonction désormais élargie, il devait se transformer, en 1936, en Commission d’ Inmmigration. cf. Marcel Livian, "Le Parti Socialiste et l’ Immigration", ed. Anthropos., Paris 1982. 24